Le chapelet, chanson d'amour

Tout au long du mois d’octobre, l’Eglise invite les fidèles à réciter le chapelet. Pour découvrir cette prière ou raviver notre manière de la réciter, l’abbé Pégourier nous offre quelques pistes.

Rosa, rosa, rosam, rosae, rosae, rosa - rosae, rosae, rosas, rosarum, rosis, rosis[1] ! C’est la chanson des roses : elle anime l’une des déclinaisons du latin – langue morte réputée difficile – pour en faire un duo entraînant. De même, en ce mois d’octobre dédié à la Vierge, nous sommes invités à faire, des Ave de notre chapelet, un rosaire vivant. Mais si cette dévotion répétitive nous lasse, ne serait-ce pas parce qu’il y manque une musique intérieure, celle qui naît d’un cœur aimant ?

Le chapelet, chanson de notre pauvre amour

La Vierge au Chapelet (Wikimedia Commons (fr))

A ce propos, saint Josémaria rapportait un souvenir d’enfance : « Il était courant alors que les jeunes de villages aillent, guitare au bras, donner une aubade à leur fiancée (…) Tout en chantant, leurs pensées peut-être s’échappaient par moments ; ils étaient pourtant là, par amour, au bas de la fenêtre. Quoique vous ayez des distractions dans la récitation de votre chapelet, continuez à le prier : c’est comme chanter la sérénade, et jouer de la guitare, par amour »[2].

guitare latine et moresque. auteur anonyme

Pour sa part, comme une fiancée, Marie se plaira à écouter cette douce musique du Salut qui l’enchante!

la récitation du chapelet (...) c’est comme chanter la sérénade, et jouer de la guitare, par amour

Elle l’avoue elle-même lors des apparitions de l’Ile Bouchard[3] : mardi 9 décembre, au bout d’une dizaine de chapelet, la Dame apparaît et organise elle-même la prière :« Chantez le “ Je vous salue, Marie ”, ce cantique que j’aime bien, demande-t-elle aux jeunes voyantes. Elle le réclamera de nouveau le 11 et le 13. Et les enfants chantent, pour faire plaisir à la Dame.

Est-il bien raisonnable, par conséquent, de prier comme un automate, ou de mâchonner ses Ave, l’un après l’autre ? Non. Ouvre les yeux. Rends-toi compte ! Fais-toi petit. Le Seigneur se cache aux orgueilleux et montre les trésors de sa grâce aux humbles. Ne crains pas si, en méditant par toi-même, il t’arrive de laisser échapper des marques d’affection et des mots audacieux et enfantins. Jésus le désire, Marie t’encourage. Si tu récites le Rosaire de cette manière, tu apprendras à faire une bonne prière[4].

Un chapelet de cœur à cœur, et non par cœur

les mystères évoqués sont autant de tableaux qui représentent la vie entière du Seigneur, ils sont l’abrégé de tout l’Évangile

Dire son chapelet n’est pas tant un exercice de l’intelligence qu’une tâche du cœur : les mystères évoqués sont autant de tableaux qui représentent la vie entière du Seigneur, ils sont l’abrégé de tout l’Évangile[5]. Je les contemple pour m’unir au Christ et me pénétrer de sa logique d’amour. Ce faisant, je partage les sentiments de Marie qui conservait toutes ces choses dans son cœur[6]; je les parcours à nouveau, en pensée, avec elle … afin qu’ils se gravent en moi-même. Plus que de la récitation de dizaines d’Ave, c’est d’une imprégnation dont il s’agit. Au fil des grains qui passent entre mes doigts, avec la Vierge, mon cœur s’éprend des desseins de Dieu ; il devient moins perméable à mes soucis, plus capable d’élan généreux pour associer mes efforts à l’œuvre rédemptrice du Sauveur. Tel est le sens de nombreuses apparitions de la Reine du Ciel : Surtout priez beaucoup pour les pécheurs (…) Je ne suis pas venue pour faire des miracles, mais pour que vous priiez[7].

– « Madame, que faut-il faire pour consoler Notre-Seigneur de la peine que lui causent les pécheurs ?

Il faut prier et faire des sacrifices. Priez-vous pour les pécheurs ?

Oui répondent les quatre enfants ensemble.

Récitez une dizaine de chapelet les bras en croix ! »[8]. Merveilleuse monotonie des « Je vous salue » qui purifie la monotonie de nos péchés[9] !

Au fil des grains qui passent entre mes doigts, avec la Vierge, mon cœur s’éprend des desseins de Dieu

Aventuriers du Bel Amour

L’iconographie chrétienne en témoigne, Jésus, lui aussi, se laisse attacher par le chapelet : chaque fois qu’il y trouve des mots vivants d’amour. Certes, celui qu’expriment nos Ave est faible, mais la Vierge les affecte d’un coefficient multiplicateur. Présentés alors par la Toute Puissance suppliante, ils exercent une attraction irrésistible sur le cœur du Seigneur : Mais priez, mes enfants, mon Fils se laisse toucher, confie-t-elle aux enfants de Pontmain qui l’invoquaient, le chapelet à la main. Le Je vous salue, en effet, rappelle cet instant où Dieu s’est penché sur nous, où sa bienveillance a comblé la distance qui le séparait de notre humanité défaillante. Et son point de départ, quel est-il ? Deux pronoms personnels - je et vous -, comme dans une histoire d’amour : nous deux. N’oublions donc pas, en le disant, cette recommandation de la sainte d’Avila : Prier, ce n’est pas beaucoup penser, c’est beaucoup aimer !

Les 15 mystères du Rosaire (Wikimedia Commons)

Abbé Patrick Pégourier


[1] Rosa, chanson de Jacques Brel.

[2] Saint Josémaria, Réunion de famille, 1973.

[3] Apparitions de l’Ile Bouchard (Indre-et-Loire), du 8 au 14.XII.1947 ; d’après le récit de Jacqueline Aubry, Extraits de Il est ressuscité, n° 41, déc. 2005.

[4] Saint Josémaria, Saint Rosaire, Épilogue.

[5] Catéchisme de l’Église catholique, n° 971.

[6] Lc 2, 51.

[7] Apparitions de l’Ile Bouchard, vendredi 12.XII, ibid.

[8] Apparitions…, dimanche 14, ibid.

[9] Saint Josémaria, Sillon 475.