L’homélie de Mgr Ravel pour la saint Josémaria

Près de 20 messes ont été célébrées tout au long de la semaine aux quatre coins de France à l’occasion de la fête de saint Josémaria. En ce dimanche 26 juin, nous vous proposons de découvrir l’homélie prononcée par Mgr Luc Ravel, Evêque aux Armées, qui a célébré la Messe à Paris.

Église Saint Honoré d'Eylau (Paris XVI°)

Comme chaque année, l’église Saint Honoré d’Eylau affichait complet mercredi 22 juin. Familles et amis, jeunes et moins jeunes : tous se sont donné rendez-vous pour vivre ensemble, dans la joie et le recueillement, la fête de saint Josémaria, fondateur de l’Opus Dei. L’occasion pour Mgr Luc Ravel qui a célébré cette Messe de revenir dans son homélie sur deux thèmes chers à saint Josémaria et au pape François : la conversion et la spiritualité laïque.

Homélie de Mgr Luc Ravel

Fête de Saint Josémaria

Paris, Eglise Saint Honoré d’Eylau, 22 juin 2016

Comment ne pas tourner nos yeux vers le magnifique peuple de Dieu, ce peuple de fidèles laïcs dont nous parlent si bien saint Josémaria Escriva et le pape François ? Saisissons deux thèmes à propos des laïcs sur lesquels ils se rejoignent étonnamment.

La conversion

Sur les laïcs, le pape François presse tous les catholiques à une conversion forte et nouvelle, une conversion au sens littéral du mot grec metanoia, avant tout un changement de point de vue, une mutation radicale de perspective, une transformation formidable de son esprit. « Un angle de vue différent sur les sujets que nous traitons. » (Pape François, Lettre apostolique au cardinal Marc Ouellet du 19 mars 2016, éditions Salvator, 2016, p. 14)

Il n’ignore pas la conversion « morale » voire la rupture avec une vie de péché. Mais il n’en fait pas son objet principal car cette tentative de conversion des mœurs est un effort paralysant ou un vain combat (selon le point de départ) s’il ne suit pas un changement d’esprit.

Dans cet appel, le pape lutte contre le cléricalisme, tous les cléricalismes : celui des clercs dont se régale une bonne partie des laïcs : ce cléricalisme des clercs les conforte dans l’idée que seuls les prêtres sont acteurs de l’Evangile. Et celui des laïcs qui font partie de « l’élite des laïcs » (Pape François, Ibid., p. 15) si bien formés et si bien enrôlés par les pasteurs comme « chargés de mission » au service de la communauté ecclésiale.

A la suite de saint Josémaria, du concile Vatican II, notre pape François a une seule idée en tête : renverser la hiérarchie, mettre la pyramide la tête en bas. Pour parler de façon plus exacte, il ne s’agit même pas de « renverser » mais de voir les choses telles qu’elles sont, réellement, dans le plan de Dieu, c’est à dire l’Église au service du monde et les pasteurs au service des laïcs.

En haut, il y a le monde des hommes qui souffrent, qui ont besoin d’un salut concret, qui ont soif de connaître le seul vrai Dieu qui les aime d’un amour immense et dont ils ignorent qu’ils sont les fils. Ce monde splendide mais dramatique gémit plus encore de sa paralysie que de sa maladie. Il est comme le paralysé du bord de la route, immobile dans son corps quand tout son cœur crie vers l’Amour incarné, figé dans la tristesse quand toute sa vie palpite vers la joie du Christ.

Au milieu de ce monde, mêlés à lui, partageant les mêmes joies, les mêmes tristesses, les mêmes espoirs et les mêmes angoisses, sont les disciples de Jésus. Ils ont été spirituellement modifiés (des OSM) par des sacrements qui ne les éloignent pas du monde, et en ce sens ils demeurent dans le monde, mais qui les configurent intérieurement au Christ, et en ce sens ils ne sont plus du monde. « Les fidèles laïcs font partie du Peuple saint de Dieu et par conséquent sont les protagonistes de l’Église et du monde, que nous sommes appelés à servir et non à être servis par eux. » (Pape François, ibid. p. 24)

En-dessous, au niveau -1, il y a les prêtres et les diacres qui chacun dans leur ordre servent les laïcs : leur mission principale est de veiller à ce que le sel ne s’affadisse pas et qu’il reste en contact avec la terre ; que le levain soit dans la pâte et non dans le placard ; que la lumière soit hors du boisseau. Les diacres font la charnière entre les laïcs et les diacres : ils n’ont pas de pouvoirs nouveaux sauf celui de représenter la communauté ecclésiale en face du monde (et en particulier face aux pauvres), et face au Christ. Les prêtres, quant à eux, font les chrétiens par les sacrements mais aussi par la Parole enseignée etc.

En dessous, au niveau – 2, il y a les évêques, dont celui de Rome, serviteurs des serviteurs de Dieu. « Prêtre, tu es porté par l’Église, évêque, tu portes l’Église », disait le cardinal Lustiger.

Et, tout en dessous, nous trouvons celui qui est aussi tout au-dessus, le Fils de l’homme. Comme disait le bienheureux Charles de Foucauld, « n’essayez pas de prendre la dernière place, c’est Lui qui l’a prise ». Il est le point, le pivot sur lequel la pyramide tient en équilibre sur la terre de la mort.

La spiritualité laïque et non plus la spiritualité des laïcs

Voilà un thème cher à notre saint. Ce sujet est plus nouveau qu’on ne peut le penser.

De quoi vivent spirituellement nos laïcs mélangés au monde dans toutes les strates du siècle ?

Qu’est-ce qu’une spiritualité laïque ?

Elle précède toutes les autres spiritualités. Elle n’est pas un décalque affadi de celle des clercs, une dérive atténuée de la sainteté cléricale ; une sorte de transposition dégradée de celle des religieux ; en ce sens-là, tout le bien que font les « tiers-ordres » ne doit pas nous cacher la vérité des prix : la spiritualité laïque précède celles des clercs et celle des personnes consacrées. Elle n’est pas déduite d’elles mais elle les soutient comme le sol porte les plantes. Elle les précède chronologiquement car nous avons tous commencé comme laïcs : baptisés avant d’être ordonné ou marié… « Nous sommes tous entrés dans l’Église en tant que laïcs. » (Pape François, Ibid. p. 15) Elle les précède logiquement car nous restons des baptisés : même dédiés par notre ordination au service du peuple de Dieu et donc extraits du monde des affaires temporelles, nous y restons adhérents par un bout de notre vie concrète (nous ne sommes pas des anges même au monastère !) et surtout par notre baptême : « Nul n’a été baptisé prêtre ou évêque. Nous avons été baptisés laïcs. » (Pape François, Ibid. p. 16)

Elle contredit le cléricalisme. « Le cléricalisme conduit à la fonctionnarisation des laïcs… il éteint lentement la flamme prophétique dont toute l’Église est appelée à témoigner au sein de son peuple. » (Pape François, Ibid. p. 16) Le cléricalisme naît tout simplement de ce que les prêtres travaillent trop. De cette façon, ils donnent cette impression (tenace) que l’évangélisation leur est confiée ; avec cela, ils n’ont plus le temps d’accompagner, d’encourager, de soutenir les acteurs de l’évangélisation, les laïcs.

La spiritualité laïque est un courant né de deux pôles en différence de potentiel. Elle circule entre le désir personnel de l’Éternité et le partage d’une souffrance d’humanité.

La spiritualité laïque a pour source intemporelle et modèle exact, la vie cachée du Christ: trente ans à Nazareth dont il ne sort que pour annoncer la réalité insoupçonnée jusque-là,

Le désir du Ciel : une soif de ce qui dure sous les voiles du temps qui passe. Sans ce désir le feu du Royaume s’éteint en nous. Ce désir ne vise pas d’abord le Ciel après la mort (ce désir nous laisse inerte pour évangéliser notre frère) mais le Ciel déjà touché avant la mort, dans ce temps. Ce goût de l’éternité effleurée dans le temps nous pousse au témoignage.

La souffrance d’humanité : l’origine de cette souffrance est clairement la solidarité avec les hommes. Tout est là. Une même humanité me fait et fait mon prochain. Les laïcs se savent en totale communauté de destin avec tous les autres frères et en particulier leurs voisins. Il ne leur viendrait pas à l’idée de se détourner d’eux ; de sauver leur peau éternelle sans la commerçante du coin qu’ils laisseraient abandonnée à son sort maudit.

La spiritualité laïque a pour source intemporelle et modèle exact, la vie cachée du Christ : trente ans à Nazareth dont il ne sort que pour annoncer la réalité insoupçonnée jusque-là, pour en énoncer ses sources et ses formes. Sa vie publique est ainsi dédiée à la présence d’une semence, semée, accueillie ; élaborée dans les cœurs, déployée dans les vies par le sermon sur la montagne.

Elle porte du fruit au fur et à mesure que nous devenons ce que nous sommes, les témoins du Royaume au cœur de notre vie séculière, non à côté de notre vie familiale ou professionnelle, ni après ni avant mais en coïncidence avec les activités les plus quotidiennes.

Les aumôniers militaires sont les seuls prêtres mandatés pour toucher les hommes dans leur activité professionnelle. Portez-les dans votre prière.

+ Luc Ravel